Fatih Birol et Alain Ebobissé : Quelles sont les stratégies à adopter pour électrifier l’Afrique ?

1 avril 2025

L'Afrique ne parviendra pas à l’accès universel à une électricité fiable sans des investissements importants dans les infrastructures de transport d’électricité, qui requièrent la participation du secteur privé. Aujourd'hui, les Africains sont conscients du problème et peuvent adapter des stratégies qui ont déjà fait leurs preuves dans d'autres régions du Sud. 

CASABLANCA – Trop souvent, le débat sur le défi énergétique de l'Afrique porte uniquement sur le raccordement des utilisateurs. Alors qu'environ la moitié des personnes vivant en Afrique subsaharienne n'ont pas accès à l'électricité et que quatre personnes sur cinq ont besoin de solutions de cuisson propre, l’électrification du continent est en effet une priorité. Mais raccorder les ménages et les entreprises à l'électricité n'est qu'une partie de la solution. L'autre partie consiste à s'assurer que l'approvisionnement en électricité est à la fois fiable et abordable. 

Parmi les Africains qui ont accès à l’électricité, moins de la moitié peuvent compter sur un approvisionnement fiable. Or, sans électricité fiable, les ménages et les entreprises ne peuvent pas utiliser d'éclairage, de fourneaux, d'ordinateurs, de systèmes d'irrigation, d'équipements agricoles, de machines à coudre et d'autres équipements susceptibles de stimuler la prospérité et d'améliorer les conditions de vie. C'est l'une des principales raisons pour lesquelles la demande d'électricité reste faible à travers le continent. 

L'une des clés pour résoudre les problèmes de fiabilité et d'accessibilité financière de l'électricité en Afrique est d'investir davantage dans les réseaux. De bons investissements dans le transport d'électricité contribueront à stabiliser le réseau, à réduire les pannes, à améliorer l'efficacité et à mieux utiliser les sources d'énergie les moins coûteuses, où qu'elles se trouvent sur le continent. Sans infrastructure de transport, tous les autres investissements dans la production d'électricité et le raccordement des ménages risquent d'être sous-utilisés. 

Le coût de développement des projets de transport d’électricité ne représente qu'une faible partie des dépenses totales nécessaires pour assurer l'accès universel à l'électricité. L'Agence internationale de l'énergie (AIE) estime que l'Afrique subsaharienne nécessite plus de 30 milliards de dollars d'investissements annuels dans l'accès à l'énergie d'ici à 2030, soit plus de huit fois les 3,7 milliards de dollars investis annuellement aujourd'hui. 

Afin d’accroître les investissements dans les réseaux, les États africains doivent faire appel au secteur privé. Pour cela, il faut établir des cadres réglementaires et politiques clairs et à long terme qui attireront les investisseurs et réduiront le coût du financement des nouveaux projets. Aujourd’hui, la quasi-totalité des réseaux de transport d'électricité sur le continent sont exploités et financés par des entreprises publiques disposant de ressources financières limitées. 

Nous savons que nous pouvons transformer le transport d’électricité en Afrique. En 2024, le secteur de l'électricité en Afrique a connu une nouvelle année de croissance à deux chiffres, en grande partie grâce à la participation accrue du secteur privé. À présent, la même stratégie peut être adoptée pour le développement des réseaux de transport. 

Les pays africains peuvent s'inspirer d'autres économies en développement et les économies de marché émergentes pour trouver des approches efficaces. Au Brésil, les réformes politiques et réglementaires engagées dans les années 1990 ont ouvert les réseaux électriques du pays à l'investissement privé. Depuis lors, selon l'AIE, la capacité de transport et de distribution a plus que quadruplé, ce qui a permis au Brésil d'assurer l'accès universel à l'électricité. 

Des modèles similaires sont sur le point d’être mis en place en Afrique. En particulier, Africa50, investisseur et gestionnaire d'actifs multilatéral en infrastructures créé par des Etats africains et la Banque africaine de développement, et la société indienne Power Grid Corporation, l'un des leaders mondiaux du développement et de l'exploitation d'infrastructures de transport d'électricité, ont établi le Partenariat public-privé pour le transport d'électricité au Kenya. En collaboration avec l'État kényan, ce partenariat vise à construire environ 250 kilomètres de nouvelles lignes de transport pour acheminer l'énergie renouvelable produite dans les régions septentrionales vers les pôles industriels et les centres de demande de l'ouest du pays. 

Ces partenariats public-privé sont essentiels pour combler l'énorme déficit qui persiste dans le financement et la mise en œuvre des infrastructures énergétiques. Grâce à des réformes réglementaires et à des mécanismes de partage des risques, les capitaux privés permettent de faire avancer des projets qu'il serait difficile de financer autrement. L'Inde a bénéficié de ce type de modèles depuis qu'elle a commencé à déréglementer son secteur de l'électricité en 1998. Le projet Tala Transmission – un partenariat entre l'entreprise publique indienne Power Grid Corporation et Tata Power – en est un excellent exemple. 

Une coordination régionale plus étroite est également essentielle. L'investissement dans des interconnexions de réseaux modernes permet d'échanger de l'électricité entre les pays qui ont un excédent de production et ceux qui n'en ont pas assez. Ces réseaux jouent un rôle majeur dans les situations d'urgence, comme cela a été démontré lors de la sécheresse dévastatrice qui a paralysé la production hydroélectrique en Zambie. D'ores et déjà, 12 pays africains membres du pool d’énergie ouest-africain ont synchronisé leurs réseaux de manière permanente, et le pool d’énergie sud-africain est en train de développer plusieurs lignes de transport d'interconnexion pour une meilleure intégration. 

Néanmoins, l'Afrique aura besoin d'un plus grand nombre de répartiteurs et de planificateurs pour exploiter pleinement les interconnexions régionales existantes et préparer le terrain pour la mise en service de nouvelles interconnexions. Une meilleure intégration régionale permettra également aux investisseurs de réduire les risques liés à leurs projets, en élargissant la clientèle potentielle. 

L'Afrique ne parviendra pas à un accès universel à une électricité fiable sans des investissements importants dans les infrastructures de transport. Or, pour mobiliser ces investissements, une plus grande participation du secteur privé est essentielle. Au niveau mondial, les investissements dans le secteur de l'énergie augmentent, en particulier dans les énergies renouvelables, l'électrification et les infrastructures de réseau résilientes. Toutefois, pour tirer parti de cette tendance, les gouvernements doivent prendre l'initiative de changements politiques et réglementaires notables. À titre d'exemple, l'Afrique du Sud, le Kenya et le Maroc ont réussi à attirer des investissements privés dans le secteur de l'énergie en établissant des plans et des objectifs énergétiques à long terme, en encourageant les partenariats public-privé et en simplifiant les procédures administratives. 

Les économies en développement et les économies de marché émergentes peuvent apprendre les unes des autres. Celles qui ont assuré un accès quasi universel à l'électricité y sont parvenues en débloquant les flux de capitaux nécessaires. Cela devrait être la priorité absolue des décideurs politiques. Une fois qu'une alimentation électrique fiable est assurée, il est alors possible de poursuivre le développement économique et d'améliorer les conditions de vie de centaines de millions de personnes. 

Source : Project Syndicate 

Auteurs : Fatih Birol et Alain Ebobissé

 

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